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Au-delà des savoirs disciplinaires enseignés à l’école, tout un potentiel est contenu en l’être humain, en attente d’être révélé et cultivé. C’était le sens de l’école chez les grecs anciens pour lesquels être humain, c’est être éduqué.
Dans cette dynamique, Socrate proposait la maïeutique en postulant que chacun est déjà porteur de ses savoirs et que le rôle de l’éducateur est de guider la personne dans l’enfantement de sa propre humanité.
Pour évoquer cette thématique, nous avons tenté dans cet article de rassembler quelques films à la portée des enfants, mais également à destination de ceux qui les accompagnent.
Éléments de réflexion
La Maïeutique, dans son étymologie renvoie à Maïa, l’ainée des sept pléiades de la mythologie grecque qui veillait aux accouchements. Ainsi, le terme maïeutique, employé par les sages-femmes signifie « faire accoucher » et, l’appellation “Maïa” est devenue l’hypocoristique donné traditionnellement à la grand-mère, la nourrice ou la sage-femme.
En philosophie, la maïeutique développée par Socrate, auquel l’historiographie attribue une mère sage-femme, est une technique appliquée à la pédagogie, fondée sur la croyance en la réminiscence, étant en cela héritière des savoir-faire orphiques. La maïeutique socratique repose sur l’idée que tout individu est porteur par essence des qualités humaines et que apprendre, en fin de compte, c’est se “ressouvenir”.
Pour cela, Socrate développe une méthode pédagogique suivant laquelle le maître accompagne, par la pratique du dialogue, la recherche de l’élève dans la découverte de la vérité dont il est déjà porteur. Remettant en cause l’idée de transmission directe, il invite au travail d’ascèse (askèsis) intellectuelle destiné à nous départir du connu et de ses limitations, pour nous tourner vers l’essence des choses et l’universalité de la condition humaine.
A contre-pied du courant sophistique qui le précède, Socrate se présente en maître ignorant, un chercheur de savoir par “amour de la sagesse” (traduction littérale de pilosophia). Reprenant le principe d’éducabilité posé par les sophistes, il introduit cependant une dimension intime et personnelle dans la relation au savoir. Prenant l’exemple de la vertu, il postule que celle-ci est un savoir intériorisé et ne peut être considéré comme une discipline qui se puisse appréhender du dehors, tel que l’arithmétique la grammaire ou l’éloquence. C’est ainsi qu’il opère un changement majeur dans le rôle de l’éducateur qu’il présente davantage comme un accompagnateur guidant l’apprenant dans l’appropriation des ses savoirs.
Dans toute la tradition de la Paideia (l’école grecque antique), être humain, c’est être éduqué et en fin de compte, former l’individu, c’est lui donner forme humaine selon cet idéal de l’homme vertueux, fondateur de l’Humanisme exhumé à la Renaissance et relayé par le Siècle des Lumières, dont nous sommes aujourd’hui les héritiers. Ainsi, l’homme est à accomplir et la friche informe de la jeunesse est le champs de tout les possibles.
Dans la sélection de films que nous proposons, nous avons tenté de retrouver quelques évocations de cette idée de la maïeutique. Certains exemples plus marquants se rapprochent de cette quête de la vertu chère aux grecs anciens avec “Star Wars, le Réveil de la Force” ou encore, l’idée de naître à son humanité dont “l’enfant sauvage” est porteur. Sans nous laisser égarer par l’apparente trivialité des finalités de l’apprentissage posée dans d’autres exemples, ces aptitudes évoquent pour autant cette question du potentiel humain dans son formidable élan d’expansion qui est, tout à la fois, permis et borné par la société.
C’est en nous!
Dans l’histoire de Po, on retrouve le thème classique de la relation du maître à l’élève. Mais la situation n’est pas évidente car le bon gros panda, bien que passionné de Kung fu, souffre également d’une irrépressible boulimie. Son instructeur, Maître Shi-Fu trouve alors la parade : “Tu mangeras quand tu te seras entraîné!” lui lance-t-il. Ainsi, Po est-il initié aux techniques du Kung-fu pour pouvoir assumer son titre de “Guerrier dragon”. Mais les choses se compliquent lorsque le redoutable Taï-Lung s’évade de prison et entend mettre la main sur le fameux rouleau du dragon qui détient les secrets ultimes du Kung-fu et ferait de lui le véritable “Guerrier dragon”. Le temps pressant et la formation de Po n’étant encore qu’à ses débuts, il faut lui remettre prématurément le rouleau du dragon, afin qu’il puisse faire siens les secrets qui lui permettront d’arrêter Taï-Lung. Lorsqu’ils découvrent que le rouleau ne contient qu’une page vide, tout semble perdu. C’est autour de cette question du rouleau du dragon qu’opère la maïeutique dans Kung-fu Panda. Déjà, Maître Shi-fu avait remarqué que Po était capable de se surpasser jusqu’à opérer un grand écart parfait à deux mètres de hauteur entre deux étagères à biscuits. Po est un bon gros Panda obèse, mais il est également “gros” du Kung-fu, et cette absence de message sur le rouleau du dragon, la surface miroitante de la page vide dans lequel il voit son reflet, provoquera la réminiscence de ce qui est déjà en lui. C’est ainsi qu’il trouvera les ressources pour vaincre le pourtant redoutable et aguerri Taï-Lung.
Se passer de béquilles
Dave Stutler fait partie d’une lignée de sorciers dont la filiation remonte jusqu’à l’enchanteur Merlin. Il est retrouvé par Balthazar Blake qui devient son mentor dans le but de déjouer une conspiration menée par la sorcière Morgane. Dans sa position de novice, tout le pouvoir de Dave est relié à un artefact : un anneau en forme de dragon. Lorsque l’émissaire de Morgane, le sorcier Maxim Horvath met la main sur l’anneau de Dave, rien ne semble plus pouvoir arrêter le plan de Morgane visant à libérer des forces démoniaques afin de prendre contrôle de la terre. Balthazar Blake tentera bien de s’y opposer, mais il ne sera pas de taille face à Horvath dont le pouvoir est désormais décuplé grâce à l’anneau de Merlin. Comme souvent dans les films portant cette thématique, à l’insuffisance de la relation maître-élève et au manque de temps, l’urgence vient apporter le dernier sursaut permettant à l’initié l’accès à ses pleins pouvoirs. Privé de son artefact, c’est en puisant en lui-même qu’il trouvera les ressources pour défaire Morgane.
En l’absence de maître
Le Réveil de la Force confronte l’improbable et l’inéluctable dans le destin de Rae, jeune femme isolée sur la planète de Jakku. Le titre de ce nouvel opus de la saga Star Wars porte en lui-même la question de la maïeutique en ce qu’il s’agit d’un processus de réveil de ce qui est déjà contenu dans la personne. La Force évoque ce contenu dont nous sommes par essence les dépositaires et la vie nous est offerte pour la révéler. C’est ce qui se produit pour Rae lorsque les événements s’accélèrent pour l’amener à se rencontrer elle-même, à se connaître comme porteuse de la Force. Lorsque Kylo Ren découvre son potentiel, il sait que chaque minute qui passe la rapproche de sa maîtrise de la Force. Mais, dans le combat final où il s’opposent l’un l’autre, le sabre laser à la main, Rae est battue d’avance. Kylo Ren a cependant une phrase malheureuse : “Viens avec moi, je t’apprendrai la Force”. C’est alors qu’elle se souvient de ce fluide qu’elle a en elle et qu’elle en convoque toute la puissance, lui permettant de venir à bout de Kylo Ren. Si l’on se souvient des épisodes précédents de la saga, le thème est fondamental et bien que sa maîtrise semble réservée à des élus, la Force est le fluide qui anime la vie. La princesse Leïa elle-même par sa gémellité avec Luke Skywalker en a senti la réminiscence dans l’épisode 5 dans la séquence finale de la cité des nuages de Bespin. Également, dans l’épisode 6, lorsque Luke Skywalker lui annonce qu’ils sont frère et sœur, elle lui répond qu’elle l’a toujours su. La question de la morale est posée dans la dichotomie entre le côté obscur de la force et la pleine lumière dans laquelle baigne le chevalier Jedi. Ainsi, la formation du Padawan est-elle empreinte de cette ascèse socratique (askèsis) destinée à se tourner vers l’essence des choses afin de se réaliser dans la vertu.
Je le saurai inévitablement!
“En rachâchant” est un court-métrage adapté d’un conte pour enfant relativement méconnu de Marguerite Duras intitulé “Ah! Ernesto”. Une réédition a été récemment produite par les éditions Thierry Magnier avec les illustrations de Katie Couprie. L’histoire d’Ernesto reprend la question du sens des apprentissages dans un ordre scolaire imposant ses contingences. Comment “apprendre” dans le fond s’il n’y pas quelque chose “à prendre” librement par l’enfant entre la massification du savoir et la perte de la singularité de l’apprenant. Le film de Danièle Huillet et Jean-Marie Straub montre bien cette école encore pétrie des modèles de transmission et de comportementalisme où l’on attend que l’enfant se conforme à des motivations qui lui sont extérieures. Dans le procès de connaissances qui lui est fait par l’instituteur en présence de ses parents quelque peu désemparés, le petit Ernesto répond que lire, compter, tout ça, il le saura i-né-vi-ta-ble-ment. Son cri de liberté, considéré comme de l’insolence exprime un besoin de correspondance dans les apprentissages. L’exemple du papillon épinglé au mur est assez marquant. L’instituteur l’interroge pour voir s’il est capable de nommer le papillon, alors que lui, est marqué par le crime commis contre l’insecte. Lorsqu’il dit ” À l’école, on ne m’apprend que des choses que je ne sais pas”, il dit cette absence de correspondance avec ce dont il est déjà porteur. Un papillon épinglé au mur, “c’est un crime” avant toute chose! Ernesto ne veut plus aller à l’école car la maïeutique n’opère pas : on y souhaite le faire accoucher de quelque chose d’autre dont il n’est pas porteur!
Deviens ce que tu es!
On retrouve dans “Le géant de fer” cette oscillation de la réalisation de l’individu entre le bien et le mal. Les positions y sont assez atypiques car l’élève est ici le géant, et l’instructeur est l’enfant. On peut voir dans ce robot venu de l’espace, totalement ignorant de ce qui fonde la société terrestre, la place de l’enfant nouveau-né, émanant du cosmos que la bienveillance des parents permettra d’intégrer à son environnement. La maïeutique se présente dans l’enfantement possible du bien ou du mal et c’est là le message qu’adresse Hogarth au géant de fer : nous sommes porteurs de ces deux orientations, mais nous avons le choix de ce que nous voulons laisser émerger; de la forme que nous allons prendre. Et dans le climat de défiance permanente issue des tensions de la guerre froide, c’est le message commun que transmettent Hogarth et le Géant de fer aux forces armées lorsque la paranoïa d’un agent du gouvernement le conduit à presser le bouton rouge de la frappe nucléaire. Le Géant de fer sort de sa chrysalide à l’image d’un champion de la vertu, prêt à défendre la veuve et l’innocent. la transposition est d’une habileté saisissante lorsque un Géant de métal qui n’a rien d’humain devient un “surhomme”, – en anglais : “Superman”. Et cette super humanité n’est pas le fait de super pouvoirs, mais le fait du choix de la vertu dans un terrain où tout était aménagé pour le conduire à la barbarie.
Comment tu fais ça?
En marge de l’histoire de Robert Parr alias “M. Indestructible”, il y a l’histoire de toute une famille et notamment, le cas des enfants qui ont hérité de super-pouvoirs du fait de l’union de leurs parents, tous deux super-héros. Violette a le pouvoir de l’invisibilité et celui -à peine balbutiant- de la création de champs de force. Tandis que Flèche -le bien nommé- a le pouvoir de courir aussi vite que l’éclair. Quand à Jack-Jack, encore bébé, “il n’a pas de pouvoirs” comme tend à la répéter sa mère Helen Parr alias “Elastigirl”. Seulement, Violette est plutôt introvertie et manque de confiance en elle et, dans le feu de l’action, quand sa mère lui ordonne de créer un champs de force pour les protéger d’une explosion imminente, prise de panique, elle ne parvient pas à s’exécuter. Mais sa mère saura la rassurer : “Tu as plus de pouvoirs que tu ne l’imagines, quand l’heure viendra, tu sauras quoi faire. Ne t’inquiète pas, tu as ça dans le sang”. Pour Flèche, le cas est inverse, il est un peu fanfaron et toujours prêt à expérimenter ses pouvoirs, mais en connait-il vraiment la portée? C’est lorsqu’ils seront livrés à eux-mêmes et dans le cadre impérieux de leur propre survie qu’ils libèreront leur plein potentiel.
Naître à son humanité
On retrouve dans l’enfant sauvage, la relation entre éducation et humanité, telle qu’elle a été révélée depuis l’antiquité grecque par les poètes, les philosophes et les sophistes. Pour les grecs en effet, il ne peut y avoir d’humanité sans la médiation de l’éducation : être homme, c’est être éduqué. C’est tout le sens de l’humanisme qui constitue aujourd’hui la valeur cardinale de l’école contemporaine. L’enfant sauvage relate l’histoire authentique de celui que l’on nommera Victor, enfant capturé en janvier 1800 dans les bois de la Caune en Aveyron. La communauté scientifique se prit de passion pour le cas de cet enfant ayant évolué en dehors de la société : l’homme à l’état zéro. Ils furent bien vite déçus par le mutisme de l’enfant qu’ils considérèrent finalement comme un déficient mental, raison probable de son abandon par ses parents alors qu’il était dans sa petite enfance. Pour le docteur Jean Itard, incarné par François Truffaut, l’enfant n’est pas frappé d’idiotisme, mais se trouve dans l’état que son isolement prolongé et ses conditions de vie ont produit. Il entreprendra alors de faire naître l’enfant son humanité. Et la maïeutique opèrera autant sur les aspects physiologiques et sensoriels propres à l’homme que sur l’usage de la parole et l’extension de la sphère des idées. En reposant le principe d’éducabilité tels qu’il est connu depuis les grecs anciens, l’histoire de Victor pose aussi la question de l’adaptabilité darwinienne et d’une humanité qui est à la fois permise et bornée de la société des hommes.